L'écriture

"Les petites îles jetées par poignées dans the Pacific… C'est ça, the Pacific, c'est un océan plein de volcans et de requins… voilà ce que c'est, le Pacifique…" (p. 39)

Pas si "pacifique" que ça, à l'image de l'écriture elle-même, selon Marguerite Duras. Il faut "jeter l'écriture au dehors", lance-t-elle à la fin d'Emily L. "Je voulais vous dire que ce n'était pas assez d'écrire bien ou mal, de faire des écrits beaux ou très beaux, que ce n'était plus assez pour que ce soit un livre à lire dans une avidité personnelle et non pas commune. Que ce n'était pas assez non plus d'écrire comme ça, de faire accroire que c'était sans pensée aucune, guidé seulement pas la main, de même que c'était trop d'écrire avec seulement la pensée en tête qui surveille l'activité de la folie. C'est trop peu la pensée et la morale." (p. 153-154)

"La suggestion incontestable qu'éprouvent tous ceux qui regardent les Gauguin est le produit non d'un miracle de sensibilité, mais d'un miracle d'art, souligne Pierre Francastel. Ce n'est pas l'émotion de Gauguin qui l'a fait peintre, c'est sa puissance à exprimer, c'est-à-dire à préciser et à matérialiser un certain nombre de détails précis plastiquement ordonnés (1)."

Saussure : "L'entité linguistique n'existe que par l'association du signifiant et du signifié ; dès qu'on ne retient qu'un de ces éléments, elle s'évanouit ; au lieu d'un objet concret, on n'a plus devant soi qu'une pure abstraction." Plus loin : "La langue est comparable à une feuille de papier : la pensée est le recto et le son le verso ; on ne peut découper le recto sans découper en même temps le verso ; de même dans la langue, on ne saurait isoler ni le son de la pensée, ni la pensée du son ; on n'y arriverait que par une abstraction dont le résultat serait de faire de la psychologie pure ou de la phonologie pure (2)."

Nietzsche traite avec ironie, dans cet extrait, des mauvaises raisons qui, selon lui, expliquent le succès de Wagner : "Surtout, pas une pensée ! Rien n'est plus compromettant qu'une pensée ! Plutôt l'état qui précède la pensée, la poussée confuse des pensées non encore conçues, la promesse de pensées à venir, le monde tel qu'il était avant que Dieu ne le créât – une rechute dans le chaos… Le chaos fait "pressentir l'ineffable" ! (3)" "Dans Lohengrin, on trouve une interdiction solennelle de s'interroger et de poser des questions. Wagner défend ainsi le principe chrétien : "Qu'il te suffise de croire." C'est péché contre le sublime et le sacré qu'une attitude scientifique… (4)"

Daniel Barenboim, pour qui l'ignorance n'est jamais la solution, prône évidemment le contraire. La musique nous apprend à penser… (5)

Notes

1. Pierre Francastel, Peinture et société, Denoël, 1977, p. 210-211.
2. Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Payot, 2005, p. 144 et 157.
3. Friedrich Nietzsche, Le Cas Wagner, Gallimard, 1974, p. 32.
4. Ibid., p. 25.
5. "The Neglected Sense", In the Beginning was Sound, The Reith Lectures, 2006.