L'Europe

En Europe occidentale, la façon dont on se représente le plurilinguisme a eu tendance à évoluer. On a valorisé dans un premier temps le plurilinguisme tel que construit par l’école. Il était admis qu’il s’agissait d’un instrument utile pour le monde du travail et la circulation professionnelle. Pour un Français, par exemple, cela revenait à dire qu’il était toujours mieux d’avoir l’anglais dans sa poche, mais aussi, en plus, une autre langue, l’allemand, l’espagnol, etc.

Avec l’ouverture vers les pays d’Europe centrale et orientale et vers les pays baltes, on a compris que les plurilinguismes pouvaient être liés à la situation de populations minoritaires, dans des pays où il y a une langue majoritaire et de fortes minorités, ou au statut des langues nationales, qui peuvent avoir été longtemps dominées, opprimées.

"Ces plurilinguismes sont beaucoup plus complexes
que ceux auxquels on s'attache habituellement."

En Lituanie, par exemple, le lituanien a été supplanté, jusque dans les années 1990, par le polonais, à d’autres moments par l’allemand et plus récemment par le russe. On a affaire à une langue qui, tout en n’étant pas une langue de grande diffusion internationale, est un symbole identitaire fort pour les Lituaniens d’aujourd’hui. Une forme particulière de plurilinguisme s’installe chez eux. Les deux anciens dominants, qui sont aujourd’hui des dominés, si l’on peut dire, la population russophone d’une part et la population polonophone d’autre part, ont à se situer chacune par rapport à la majorité lituanienne et à la Russie voisine. Ces relations sont extrêmement complexes du point de vue des représentations croisées.

Ces plurilinguismes, qui sont plus ou moins vécus heureusement, sont donc beaucoup plus complexes en termes identitaires ou historiques, que ceux auxquels on s'attache habituellement quand on est, par exemple, un étudiant français, et que l'on cherche à se construire un capital linguistique de manière à le valoriser par la suite.

Le capital langagier
 
Sur le plan individuel, les études tendent à montrer que les plurilingues développent, si les conditions sont favorables, une certaine agilité cognitive, peut-être des formes de créativité, qui constituent pour eux un bénéfice réel. Des travaux montrent par ailleurs que les entreprises qui n’ont pas un capital plurilingue suffisamment développé peuvent y perdre sur le plan économique. L’anglais est une nécessité mais ne suffit pas. On le voit, seules les langues qu’un linguiste comme Louis Jean Calvet désigne comme étant des langues centrales, par rapport à des langues qui seraient elles-mêmes périphériques, sont concernées.
 
Cette argumentation selon laquelle être plurilingue pouvait rapporter a été mise en avant. Mais si l’on pense en termes d’éducation, il faut aussi s’interroger sur d’autres dimensions d’un développement du plurilinguisme en contexte.

Si les pays européens ne sont pas marqués par un plurilinguisme aussi fort que certains pays africains, qui peuvent avoir 250 ou 260 langues, les situations n’en sont pas moins diverses. Le plurilinguisme n’y apparaît pas non plus toujours comme étant une valeur en soi dans le vécu des individus.