"C'est surtout vers la fin du XXe siècle que les traductions se multiplient, et que ce nom se répand sous la plume des écrivains français", note Françoise Delphy (1). Elle cite Guy Goffette, qui est Belge, ou encore Christian Bobin, qui n'hésite pas à écrire : "L'humilité est son orgueil, l'effacement son triomphe (2)." Mais le nom de M. Duras, par exemple, n'apparaît pas. F. Delphy ajoute : "L'intérêt pour sa vie et son œuvre, loin de se cantonner à la seule sphère de la littérature, se manifeste également dans les autres arts : le théâtre, mais aussi la musique, et même la danse. […] Dans le deuxième album de Carla Bruni sorti en 2007, on trouve ainsi, parmi divers poèmes de langue anglaise, trois textes d'Emily Dickinson."
Pourtant, en octobre 1986, à propos d'un poème d'E. Dickinson, Philippe Jaccottet écrivait déjà : "On éprouve un émerveillement, comme devant certains haïkus dans lesquels les choses les plus humbles font office de clefs ouvrant sur de profonds espaces. Puis, se demande-t-on de quoi parlent ces vers, on hésite (3)." Dans Truinas, il note : "[Anne de Staël] me raconta que, peu de jours avant la mort d'André [du Bouchet], comme elle lui proposait de lui lire des pages – qui lui avaient semblé, à elle, particulièrement complexes – écrites à propos de sa poésie, il en avait décliné l'offre ; pour accepter, en revanche, avec gratitude, qu'elle lui lût des poèmes d'Emily Dickinson, dont elle me confia combien depuis toujours elle les admirait ; ajoutant, de cette façon si directe qu'on ne peut qu'aimer chez elle, ces mots, ou à peu près : "Comme si, devant la mort, ne tenait que ce qui se comprend de soi…" (4)"
Jean-Luc Godard cite son nom dans Histoire(s) du cinéma (5). On voit un tableau de Gabriele Münter, Jawlensky und Werefkin, à l'image et cette phrase est prononcée : "Le plus éphémère des instants possède un illustre passé."
"Qu'on voye, en ce que j'emprunte, si j'ay sçeu choisir de quoy rehausser mon propos (6)." Cette proposition de Montaigne s'applique à Godard comme à Duras, qui ne mentionne pas le nom d'E. Dickinson dans Emily L. Mais son poème There's a certain Slant of light y apparaît en filigrane. Pourquoi commence-t-on à écrire ? Dans un entretien publié en italien en 1989, M. Duras apporte la réponse suivante : "Je pense à mon dernier roman, Emily L. Emily lit, elle écrit des poèmes : tout, à vrai dire, a commencé par la littérature, que lui a suggérée son père, des vers d'Emily Dickinson, dont le livre, de loin, s'inspire (7)."
Notes