"Vous dites : – Il n'y a rien à raconter. Rien. Il n'y a jamais rien eu. Je vous réponds avec retard : – Certaines fois, quand nous parlons ensemble, c'est aussi difficile que de mourir." (p. 23) "Et au bout du voyage, c'est terrible d'être un homme avec une femme", écrit Blaise Cendrars dans La Prose du Transsibérien.
Il accepte pourtant de jouer le jeu : "Elle voyagerait donc encore ? Vous souriez : – Le bruit court, oui." (p. 130-131) Il accepte de lui donner le change (2). Par le truchement de la fiction, on peut se parler plus facilement (3). Mais ce sourire cache mal une certaine tristesse, une lassitude peut-être. Celle du lecteur ? La narratrice observe son amant : "Vous regardez le fleuve. Le couchant est entré dans la salle du café. Il est dans vos yeux rieurs." (p. 67)
La narratrice se prend pour May Bartram. "La connaissance de l'histoire, vous la posséderez comme les héros de Henry James, quand elle sera terminée", lui dit-elle (p. 138). Dans The Beast in the Jungle, John Marcher croise un homme, près de la tombe de May Bartram : "This face, one grey afternoon when the leaves were thick in the alleys, looked into Marcher's own, at the cemetery, with an expression like the cut of a blade." Cette rencontre lui ouvre les yeux : "The name on the table smote him as the passage of his neighbour had done, and what it said to him, full in the face, was that she was what he had missed. This was the awful thought, the answer to all the past, the vision at the dread clearness of which he turned as cold as the stone beneath him. Everything fell together, confessed, explained, overwhelmed ; leaving him most of all stupefied at the blindness he had cherished (4)."
Dans la nouvelle de Joyce, The Dead, Gabriel est saisi de stupeur quand il comprend qu'il n'est pas celui que sa femme a toujours aimé. Le croyait-il ! Le mari de Dominique Sanda, dans Une femme douce de Robert Bresson, s'interroge. Sa femme s'est suicidée.
Dans Una voce umana, Rossellini met en scène Anna Magnani (5). Le personnage qu'elle incarne attend que l'homme qui vient de la quitter, que l'on ne verra jamais (6), l'appelle. La conversation qu'ils finissent par avoir prend une tournure pathétique. La ligne est mauvaise, à l'image de leur relation. Anna Magnani veut faire bonne figure, mais elle est celle que l'on abandonne. L'amour est un mensonge divin, écrit Duras. Puis vient la première "trahison" (p. 43).
Dans Viaggio in Italia, sorti en 1954, Ingrid Bergman et George Sanders – Katherine et Alexander Joyce, est-ce un hasard ? – sont sur le point de se séparer. Au cours de ce voyage, ils prennent conscience du temps qui passe. Elle visite les musées, lui se rend à Capri. Elle l'attend dans la villa qu'ils cherchent à vendre qui domine la baie de Naples. Ils se rendent ensuite à Pompéi pour assister à la découverte de deux corps calcinés et enlacés : "Qu'est-ce que la vie est courte !", s'exclame-t-elle. Elle attend qu'il cède. Lui aussi. Elle lui dit qu'elle le méprise, mais ils assistent alors à un "miracle", et se réconcilient (7).
Notes