Conclusion

"Elle ne sait pas le mal qu'on lui veut."

La clé de lecture d'Emily L. est peut-être à rechercher dans ces propos de Marguerite Duras : "J'aime beaucoup Emily. Emily L. Je l'aime autant que L'Homme atlantique et que L'Été 80. Sans doute parce qu'on a essayé de l'assassiner. J'ai le sentiment que le livre est vivant, qu'il est fait de la chair même d'Emily, innocent de la même façon qu'elle, qui ne sait pas le mal qu'on lui veut. Le saurait-elle qu'elle ne le comprendrait pas (1)."

L'acte du Captain exprime la "limite de son intelligence terrestre". (p. 126) "Le Captain avait souffert. Une vraie damnation. Tout comme si elle l'eût trahi, qu'elle eût eu une autre vie parallèle à celle qu'il avait crue être la sienne, ici, dans la maison des garages. Une vie clandestine, cachée, incompréhensible, honteuse peut-être, plus douloureuse encore pour le Captain que si elle lui avait été infidèle avec son corps – ce corps ayant été avant ces poèmes la chose du monde qui l'aurait fait sans doute la supprimer si elle l'avait donné à un autre homme." (p. 78)

Cette violence gratuite, insidieuse, on la retrouve partout. On la retrouve dans Così Fan Tutte. Michael Haneke l'a bien montré. Cette "petite guerre" – c'est moi contre toi, toi contre moi, résume-t-il – peut se transformer en guerre de Troie ! (2) Non seulement Ferrando et Guglielmo acceptent de parier – on peut dire alors que le mal est fait – mais ils obéissent jusqu'au bout ! Pourquoi ? Les Grecs ont inventé la pomme de la discorde. Puis il y a eu Freud, on a appelé ça la pulsion de mort (3).

Dans Accident, de Joseph Losey, Stephen (Dirk Bogarde) est attiré par l'une de ses étudiantes, une princesse autrichienne (4). "Je suis trop vieux pour elle", feint-il d'admettre au tout début du film. La "petite guerre", des égos, qui s'enclenche entre les différents personnages mène à la catastrophe. La pensée, l'intelligence, passent à la trappe (5). Le film se referme sur lui-même. Une parenthèse dans la vie de ce professeur ? L'ordre, si l'on peut dire, est rétabli à la fin.

La fin du Così Fan Tutte de Haneke est tout aussi glaçante. On voudrait faire comme s'il ne s'était rien passé (6).

Notes

1. "Le plus difficile, c'est de se laisser faire", Le Magazine littéraire, n° 278, juin 1990.
2. Michael Haneke, le 21/02/13 à Madrid. À l'origine de la guerre de Troie, il y a le jugement intéressé de Pâris.
3. Ces quelques lignes de Philippe Jaccottet : "Les enfants qui, à Sarajevo, tendent un fil invisible au travers d'une rue verglacée pour faire chuter les passants ; les autres qui ont sorti leur luge : la force de la vie." La Seconde Semaison. Carnets (1980-1994), p. 200. Voir aussi Le Ruban blanc d'Haneke.
4. "She is a princess", lance-t-il à sa fille, qui se demande si c'est une vraie princesse. Accident est sorti en 1967.
5. Mais quand en voulant s'extraire de la voiture accidentée, Anna pose son pied sur le visage meurtri de William, Stephen lui crie : "Don't!"
6. On pourrait multiplier les exemples. Le film de Luis Buñuel, Susana, demonio y carne, sorti en 1951, n'est pas très subtil. La fin est particulièrement édifiante. Dans Modern Times, Chaplin n'abandonne pas Paulette Goddard à son sort ! Sur ce même thème, on peut citer l'anecdotique Tamara Drewe, de Stephen Frears, sorti en 2010. Plus intéressant, le film de Pasolini, Teorema, sorti en 1968.