Aussi surprenante soit-elle, elle provoque toujours une reconnaissance. Quel qu’il soit, le spectateur raccroche l’image présentée à celles qu’il connaît déjà. Admettre cela fournit le point d’entrée : il suffit de demander aux élèves ce qu’ils voient et croient reconnaître. On collecte ainsi des informations sur la façon dont les élèves classent les images, donc sur la façon dont est organisé leur univers mental. S’ils nomment souvent ce qu’ils voient par rapport au support matériel (photo, dessin, peinture, etc.) ou à ce qui est représenté (objet, personne, événement, etc.), ils se réfèrent aussi au genre : affiche de pub, illustration de livre, bande dessinée, photo de magazine… et ne se gênent pas pour donner leurs sentiments sur l’image ! Voilà les premières hypothèses de sens, qu’il faut recueillir sans commentaire et mettre à l’épreuve de l’analyse. On les retrouvera en fin de parcours, pour mesurer le chemin effectué depuis la prise de contact.
Il est déjà possible de prendre des points de repère, en mettant l’image que l’on regarde en perspective. Car pour pénétrer dans le monde des objets visuels et y situer cette image que l’on cherche à lire, il ne peut être question de se limiter à n’observer qu’elle seule. Comme cela peut se faire avec des textes, on a alors recours à un "tri d’images". On propose aux élèves des images d’origines très différentes (la collection de la revue Textes et Documents pour la classe est une mine) et on leur demande de les classer, sans autre précision (au moins la première fois, pour ne pas censurer les critères que proposeront les élèves). Travail déconcertant et riche : les élèves définissent des critères différents et cherchent à justifier leurs classements. Par thèmes, par médium, par genre, par époques, par sorte de producteur, par couleur ou noir-et-blanc, par but, par public, mais aussi images d’images, images avec ou sans texte…
Cette profusion de critères n’est pas une gêne, au contraire, elle témoigne de la variété des points de vue possibles sur les images et elle ouvre la voie à une réflexion sur les fonctions des images. On arrive à cette conclusion que les classements des images sont relatifs au but visé (illustrer, informer, séduire, tromper, divertir, embrigader, plaire, etc.). En fonction de ce que l’on veut produire comme effet, on choisit telle ou telle sorte d’images.
Les images, comme les textes, sont fonctionnelles. Elles prennent sens dans le regard du spectateur, regard toujours intime et intéressé, mais regard socialement et historiquement situé. Elles prennent sens dans l’échange entre le producteur et le spectateur, au milieu des ambiguïtés que cet échange fait naître. Les images ne sont compréhensibles que parce qu’elles appartiennent à ces grandes familles d’actions symboliques que sont les genres. Les élèves le découvrent progressivement, comme ils le font pour la diversité des écrits.
Des hypothèses ont été formulées par les élèves, des jugements proférés avec assurance. Ce qui ne manque pas de provoquer la perplexité dans le groupe : comment arbitrer entre ces différentes propositions ? Il n’y a pas d’arbitre, avec majuscule, qui dirait la vérité, toujours avec majuscule. Il faut prendre des risques de sens, en évitant les délires. Donc en prenant appui sur l’image. L’observation de l’image est un recours, mais non une panacée. Les élèves n’observent que ce qu’ils ont appris à voir et il est souvent nécessaire de les amener à remarquer ce qu’ils ne voient pas et qui pourtant est là, sur l’image (pour celui qui a appris à lire).