Voici comment il était né, c'est la première chose. À cette époque-là les Fân demeuraient au bord d'un grand fleuve, grand, si grand, qu'on ne pouvait apercevoir l'autre rive ; ils pêchaient sur le bord. Mais ils n'allaient pas sur le fleuve ; nul encore ne leur avait appris à creuser des canots : celui qui le leur apprit ce fut Ngurangurane. Ngurangurane apprit cet art aux hommes de sa famille, et, sa famille, c'étaient les hommes, c'étaient les Fân.
Dans le fleuve vivait un énorme crocodile, le maître crocodile ; sa tête était plus longue que cette case, ses yeux plus gros qu'un cabri tout entier, ses dents coupaient un homme en deux comme je coupe une banane, crîss ! Il était couvert d'énormes écailles : un homme le frappait de ses javelots, tô, tô, mais pfut, le javelot retombait ; et celui qui faisait cela, ce pouvait être l'homme le plus robuste : pfut, le javelot retombait. C'était un animal terrible.
Or, un jour, il vint dans le village de Ngurangurane ; mais celui-ci n'était pas encore né. Et celui qui commandait les Fân était un grand chef, et il commandait à beaucoup d'hommes. Il commandait aux Fân et à d'autres encore. Ngan Esa vint donc un jour dans le village des Fân et il appelle le chef : – Chef, je t'appelle. Le chef accourt aussitôt. Et le chef crocodile dit au chef homme : – Écoute attentivement. Et le chef homme répondit : – Oreilles : c'est-à-dire j'écoute bien. – Ce que tu feras à partir d'aujourd'hui, le voici. Chaque jour j'ai faim, et je pense que la chair de l'homme me vaut mieux que la chair de poisson. Chaque jour, tu attacheras un esclave et tu me l'apporteras sur les bords du fleuve, un homme un jour, une femme le lendemain et, le premier de chaque lune, une jeune fille bien peinte avec le baza et bien luisante de graisse. Tu feras ainsi. Si tu oses ne pas m'obéir, je mangerai tout ton village."
("La légende de Ngurangurane", conte fân, n° 38)