Premier paragraphe. S. Delorme commence par dire ce à quoi lui fait penser la photo qui se trouve sur l'une des affiches du film. Cela lui permet d'introduire sa thèse : "Il suffit de s'attarder pour se demander ce que cet homme veut à ce visage […] Tout nous dit qu'il s'inquiète pour elle, mais le cadre, ce visage pris en étau, et le regard anesthésié désignent déjà, en creux, un désir de mort." Ce visage est-il "pris en étau" ? Peut-on le dire en se basant sur cette seule image ? Ne peut-on pas l'interpréter différemment ? Cette expression souligne à quel point les images posent problème. Y a-t-il violence ? Volonté de maintenir, d'immobiliser ? Où est le "désir de mort" ? Rien de tout cela ne figure évidemment dans cette image.
2e paragraphe. S. Delorme table sur le succès du film : "La sortie d’Amour promet un raz-de-marée, critique et public." Sur le papier, cela n'était pourtant pas gagné. Avant d'accepter le rôle, J.-L. Trintignant a lui-même hésité. Qui irait voir ça ? (3) L'argument est pauvre. Ne peut-on pas critiquer La Vie d'Adèle pour la même raison ? Est-on si nombreux que ça à aimer le cinéma de M. Haneke ? Son film Funny Games n'a pas marché aux États-Unis. "Cette culture qui plaît à tout le monde" est le sous-titre du livre Mainstream de Frédéric Martel (4). On en est quand même pas là ! Haneke n'est pas Lady Gaga. S. Delorme se demande ensuite si l'on peut critiquer un film qui s'intitule Amour. Bêtement, on a envie de lui répondre que oui. Mais selon lui, ce titre est trompeur. Il ne correspond en rien au contenu du film. M. Haneke veut "sonner" le spectateur, comme il l'a toujours fait. Il se sert de nous comme de "cobayes". Il mène une "expérience".
3e paragraphe. On élargit le propos. La sortie du film est l'occasion pour la revue de poser cette question : pourquoi des films "insupportables de misanthropie" sont "défendus" et "même qualifiés d'humanistes" ? Ces films, que l'on pourrait regrouper dans un nouveau genre (les films misanthropes ?), se ressemblent en ce qu'ils "manipulent" le spectateur, sous couvert de lui présenter la réalité : "La méthode est souvent la même : une fausse objectivité qui cache mal une réelle manipulation." En est-on encore là, en 2012, à parler de vraie ou de fausse objectivité ? Le spectateur est piégé, on lui fait passer une "épreuve" : "Les films crient qu'ils laissent le spectateur libre de choisir alors qu'ils dirigent ses émotions à son insu." Une épreuve ? Que penser alors de Salò, que les critiques des Cahiers ont tous adoré ? (5) S. Delorme ajoute : "Comme par hasard, ce sont souvent des faits divers ou des faits de société qui servent de couverture à cette démarche empoisonnée (sic)." L'accusation monte encore d'un cran. Quel est le sous-entendu derrière ce "Comme par hasard" ? On ne sait pas.
4e paragraphe. Trois exemples pour appuyer cette thèse. À perdre raison, de Joachim Lafosse : le film "vend du désespoir et de l'humiliation." Doit-on comprendre que c'est ce que fait M. Haneke dans ce film ? "Il y a une délectation morbide aujourd'hui au cinéma (mais pas seulement au cinéma) pour l'humiliation qui devient un motif détaché de tout, sans motivation." Superstar de Xavier Giannoli (quel exemple !) : "L'humanité se trouve réduite à deux cases : les cyniques, qui s'en sortent, et les "pauvres types", écrasés, mais bien sympas. Le spectateur n'a plus qu'à renoncer et il en ressort meurtri (6)." Troisième exemple : l'affiche de Después de Lucia (sa version française) "arbore fièrement une fille qui prend une gifle – double de celle que doit accepter la pauvre Emmanuelle Riva (7), au nom de l'autorité artistique du maître Haneke. Même si on sait tous que la claque, dans un cas comme dans l'autre, est donnée au spectateur."
Le rapprochement qu'établit S. Delorme entre ces deux films est tout simplement débile. En quoi ces deux gifles ont-elles quelque chose à voir, à part le fait qu'il s'agit de gifle ? Partant de là, tout peut-être le "double" de tout. Dans Después de Lucía, une jeune fille est harcelée par des élèves de son lycée, jusqu'à subir les pires tortures. Quel est le rapport avec la gifle que reçoit Anne dans Amour ? Si E. Riva avait eu par ailleurs le sentiment d'être "humiliée" par M. Haneke, l'aurait-elle accepté, quelqu'en soit la raison ? (8)
Pour S. Delorme, il y a le "maître" d'un côté, tantôt médecin, tantôt juge (le réalisateur), de l'autre les élèves, les enfants, qu'il faudrait "éduquer", les patients, les délinquants, qu'il faudrait "soigner" (les acteurs, les spectateurs). Parle-t-on toujours du même film ?
Dernier paragraphe. Puisque ces films nous rendent malade, nous "empoisonne", il faut trouver "un antidote". Heureusement, Docteur Delorme est là. L’antidote, c'est… Werner Herzog : "Les deux ont pris des voies radicalement opposées (9), Herzog plongeant généreusement dans le romantisme allemand, Haneke se raidissant dans un puritanisme de laboratoire (cf. sa peur maladive du kitsch : sentiments = sentimentalisme = kitsch) (10)." S. Delorme écrit : "Dans Into the Abyss, Herzog fait preuve d’un génie documentaire pour la simple raison qu'il est là, avec ses interlocuteurs dans des situations de détresse, dans un rapport de confiance absolu (sic). Il les regarde, il les respecte." L'édito se termine sur cette citation d'Adorno : "La transformation des hommes en insectes demande une énergie égale à celle qui permettrait peut-être de les transformer en hommes." C'est Into the Abyss qui devrait s'appeler : "Amour"." Très bien, mais d'où sort cette citation ?
Notes