Oraison funèbre

"Sommes-nous, devant ce caveau à la porte ouverte sur de l'ombre et du froid, plus de vingt ? À peine. Je ne peux pas ne pas penser aux funérailles nationales de Braque, l'un de ses pairs, aux oraisons véhémentes de Malraux, même à ce "Carrousel des Quatre Éléments" qui se déroula de "la façon la plus magnifique, la plus leste, la plus fougueuse" au Louvre, en 1606, comme Francis Ponge l'a noté à propos de Fautrier non sans goût du faste et de l'éclat : eh bien ! nous sommes loin du compte. Mais il avait dit assez fièrement aussi, lors d'un entretien avec Reverdy et Breton : "Nous avons choisi la misère", le "trente-sixième dessous" ; et peut-être est-elle plus vraie ainsi, cette cérémonie qui n'en est presque pas une, alors que le moindre Nîmois anonyme eût été plus entouré."

Qu'est-ce qui tient et ne tient pas devant la mort, s'interroge Philippe Jaccottet (1) – comme dans cet autre texte, commencé aussitôt après l'enterrement d'André du Bouchet : Truinas, le 21 avril 2001 (2). Le sublime ? Le "parfaitement accompli" ?

"Non. Ce pourrait être autre chose encore, à propos de quoi m'est revenu en mémoire l'adjectif double forgé par Hölderlin dans "Le Rhin" : "reinentsprungenes", le "pur jailli", "ce qui sourd pur", dont il nous avertit qu'il est "énigme". […] Dans les livres, ce jaillissement ne se produirait que par instants, dans une phrase, dans un vers que nous sommes alors tentés de qualifier, faute de mieux, de "magiques", par l'intensité de leur effet sur nous ; dans la musique, il pourrait s'agir d'un thème, de quelques mesures, d'une simple modulation ; ici comme là, de guère plus qu'une inflexion. (Et il m'est arrivé non pas de penser, là encore, mais de ressentir que la poésie, et la musique, dans leurs moments de magie, ou de grâce, semblent précisément infléchir le mouvement du monde, fléchir la rigueur du destin.)"

"Serait-ce une pureté d'ordre moral, un angélisme désincarné ? Non. Plutôt une fraîcheur dont l'eau des torrents et l'aube seraient les illustrations les plus convaincantes, mais qui pourrait jaillir encore à tout moment du jour, de la vie, de l'histoire, par surprenantes, admirables fusées – pures de quoi ? De tout artifice, de tout mensonge, violentes irrépressibles, comme si l'on se retrouvait tout à coup, de nouveau, mais sans l'avoir prémédité, sans comprendre comment, bien que l'on soit peut-être au soir de sa vie et au soir du monde, tout près de la source, qui est l'énigme que l'on ne peut résoudre en autre chose qu'une énigme."

"Le jugement est dans les mots. Il ne pousse pas dans la clairière. On ne le voit pas sur la lande, à cru sur le cheval qui erre. Le vent ne le soulève pas au-dessus de la boue et des arbustes sur le sol ni les galets ne le roulent sur le bord de la mer", relève Pascal Quignard. (3)

Notes

1. Ponge, pâturages, prairies, Philippe Jaccottet, Le Bruit du temps, 2015.
2. La Dogana, 2004.
3. Critique du jugement, Galilée, 2015.