Les sacrifices

1. Quand on voit éclater l'ineptie des hommes dans les sacrifices, les fêtes, les supplications des dieux, quand on considère ce qu'ils leur demandent, les vœux qu'ils leur adressent, l'opinion qu'ils s'en forment, il faudrait être, à mon avis, bien chagrin, bien morose, pour ne pas rire de tant d'extravagances. Cependant, avant d'en rire, je crois qu'il est bon de se demander si l'on peut appeler ces gens-là religieux ou misérables ennemis de la divinité, dont ils se font une idée basse et indigne au point de croire qu'elle a besoin des hommes, qu'elle se plaît à leurs adorations et qu'elle se fâche de leur indifférence. Les calamités d'Étolie, les malheurs des Calydoniens, je ne sais combien de meurtres, la maladie qui frappe Méléagre, tout cela fut, dit-on, l'œuvre de Diane, courroucée de ce qu'Œnée ne l'avait pas invitée à un sacrifice, tant cet oubli, qui l'avait privée de sa part de victime, était profondément gravé dans son cœur ! Il me semble la voir toute seule abandonnée dans le ciel, tandis que les autres dieux sont allés chez Œnée ; elle jette les hauts cris, elle se lamente de ne pas se trouver à si belle fête.
 
12. Les autels une fois dressés, les prières et les vases d'eau lustrale établis, on amène des victimes : le laboureur conduit le bœuf qui a traîné sa charrue ; le berger, son agneau ; le chevrier, sa chèvre ; celui-ci, de l'encens ; celui-là, un gâteau ; le pauvre se rend le dieu favorable en lui baisant la main droite ; les sacrificateurs, car je reviens à eux, couronnent l'animal, après avoir examiné avec soin s'il n'est pas impur, de peur de faire un mauvais sacrifice, le conduisent à l'autel et l'égorgent sous les regards du dieu ; et, tandis qu'il mugit avec douleur, présage naturellement favorable, ils mêlent à ce son lugubre les accords de la flûte sacrée. Comment douter que les dieux ne soient ravis de ce spectacle !

(Lucien de Samosate, Les sacrifices)

Source : Remacle.org