Le travail

Il n'y a pas d'opprobre à travailler : l'opprobre est de ne rien faire. Si tu travailles, celui qui ne fait rien bientôt enviera ta richesse : richesse toujours est suivie de mérite et de gloire.
L'extrait
 
Va, souviens-toi toujours de mon conseil : travaille, Persès, noble fils, pour que la faim te prenne en haine et que tu te fasses chérir de l'auguste Déméter au front couronné, qui remplira ta grange du blé qui fait vivre. La faim est partout la compagne de l'homme qui ne fait rien. Les dieux et les mortels s'indignent également contre quiconque vit sans rien faire et montre les instincts du frelon sans dard, qui, se refusant au travail, gaspille et dévore le labeur des abeilles. Applique-toi de bon cœur aux travaux convenables, pour qu'en sa saison le blé qui fait vivre emplisse tes granges. C'est par leurs travaux que les hommes sont riches en troupeaux et en or ; rien qu'en travaillant ils deviennent mille fois plus chers aux Immortels. Il n'y a pas d'opprobre à travailler : l'opprobre est de ne rien faire (être oisif). Si tu travailles, celui qui ne fait rien bientôt enviera ta richesse : richesse toujours est suivie de mérite et de gloire. Dans la condition où t'a placé le sort, ton intérêt est de travailler, et, détournant du bien d'autrui ton esprit léger, de recourir au travail pour assurer ton pain, ainsi que je t'y engage. C'est une honte mauvaise qui suit les pas de l'indigent : la honte est liée au malheur, comme l'audace au bonheur.
 
La richesse ne se doit pas ravir : donnée par le Ciel, elle vaut bien davantage. On peut gagner une immense fortune par la violence, avec ses bras ; on peut la conquérir avec sa langue, ainsi qu'il arrive souvent, quand le gain dupe l'esprit de l'homme et que l'effronterie prend le pas sur le sentiment de l'honneur. Mais les dieux ont alors vite fait d'anéantir le coupable, de lui ruiner sa maison, et sa fortune ne le suit pas longtemps. Le crime est pareil de qui maltraite un suppliant, un hôte ; de qui monte dans le lit d'un frère pour s'unir, furtif, à sa femme – répugnante faute ; de qui s'égare jusqu'à faire tort à des orphelins ; de qui cherche querelle à un père âgé, au triste seuil de la vieillesse, et l'assaille de mots brutaux. Contre tous ceux-là, c'est Zeus lui-même qui s'indigne et, à la fin, de leurs actes criminels leur paie dure récompense. Retiens donc, toi, loin de ces fautes ton cœur léger.
 
(Les Travaux et les Jours, Les Belles Lettres, 298-335)

Remarques

Persès est le frère avec lequel Hésiode a été en procès à cause de l'héritage paternel. Il ne voulait pas exploiter le domaine mais en tirer seulement profit.