"La seule réaction possible à l’extension du régime germano-sadique, c’était la haine. Je ne parle pas du ressentiment, de l’envie, ni de cette agressivité chauvine qui, justement, pouvait être le propre des Allemands constitués en race et forts de leur différence du reste de l’espèce, à commencer par cette portion proche et familière et apte à servir de pâture immédiate à leur vice national : les Juifs. Mais la haine. La haine qu’il est normal et nécessaire qu’inspire un tel comportement. Un jour, au camp de prisonniers de Mauzac, comme j’avais emprunté la Bible d’un camarade protestant, les yeux tombèrent sur ces paroles du psalmiste : "Je les hais d’une parfaite haine." (Psaume CXXXVIII, 22) Une parfaite haine ! Oui, me dis-je, la haine peut et doit être une chose parfaite, à la façon d’une pensée et d’une forme ; elle peut être une chose achevée, accomplie et pure, s’expliquant de soi, se justifiant en tout, se trouvant sans répit et sans réticence ses motifs, ses assurances et son contentement. Irréductible, puisque raisonnée – raisonnée, rationnelle, fondée en raison, ressortissant à la raison. Et dès lors immuable, inflexible, non susceptible de plus et de moins, de variations, de ces troubles caprices qu’on appelle sautes d’humeur et qui sont le fait de l’humeur et non d’un sentiment essentiel comme celui-là, qui est devenu mon propre, et par conséquent certain de ses aises, léger à porter, à l’abri du reproche, du scrupule et de la contradiction. La haine parfaite, la haine sainte. Elle est obligatoire compagne de l’amour, et d’autant plus parfaite et sainte que l’amour est plus saint et plus parfait. Je doute un peu que les Français aient réellement, profondément éprouvé la haine. Il leur eût fallu savoir beaucoup aimer, et je me demande s’ils savent encore beaucoup aimer."