Imprescriptible

Michel Serres a introduit dernièrement la notion de "devoir d'oubli". Sur France info, il y a quelques jours*, il s'en prenait à ceux qui ressassent les "horreurs du passé" : les générations qui n'ont pas connu la guerre ne peuvent pas comprendre et ne devraient même pas en parler. En substance : "Vous n'y étiez pas. C'est plus compliqué que ça." Et puis, ne faut-il pas se tourner vers l'avenir ?

Pour Michel Serres, il y a prescription : "La prescription est au juridique ce que le pardon est à l'éthique." Ce qui l'amène à dire : "Quand je parle aujourd'hui de la seconde guerre mondiale, je suis dans le pardon. Il ne faut pas juger. La question maintenant, c'est de pardonner." Pourquoi le journaliste qui lui sert de faire-valoir ne lui rappelle-t-il pas que les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles ?

"C'est sans doute ce que les brillants avocats de la prescription appelleront notre ressentiment, notre impuissance à liquider le passé", écrivait Vladimir Jankélévitch en 1965. "Au fait, ce passé fut-il jamais pour eux un présent ?"

Michel Serres pense-t-il ainsi aller à contre-courant ? Mais les Quatre Sœurs, le chef d'œuvre de Claude Lanzmann, est sorti en France il y a quelques semaines dans l'indifférence générale. Pas vraiment un "tsunami", pour reprendre son expression.

"Bientôt les arbres fleuriront à Auschwitz, comme partout ; car l'herbe n'est pas dégoûtée de pousser dans ces campagnes maudites ; le printemps ne distingue pas entre nos jardins et ces lieux d'inexprimable misère. Aujourd'hui, quand les sophistes nous convient à l'oubli, nous marquerons fortement notre muette et impuissante horreur devant la folie de la haine."

(* "Le sens de l'info", 04/02/18)