Des produits de saison

"Quand le merlan, les maquereaux donnent sur les côtes de l'Océan, ils rebondissent chez Flicoteaux." Et dans l'assiette de Balthus (1) !

L’ironie de Balzac se déploie tout au long de ce passage. Pour supporter "gaiement" la misère, il faut avoir la foi, écrit-il. Le restaurant n’est-il pas un "temple de la faim et de la misère" ! Lucien n’a pas encore perdu sa foi et ses illusions, la lettre qu’il envoie à sa sœur nous le montre, mais Balzac prévient son lecteur : cela ne va pas tarder.

Comment sont acheminés les produits que l’on mange ? D’où proviennent-ils ? Qu’est-ce que "la Halle" ? Les élèves peuvent faire des recherches sur internet sur le marché de Rungis, par exemple.

Est-il bien ou mal vu de consommer des produits de saison ? Qu’en est-il aujourd’hui ? Et qu’en était-il du temps de Balzac ? Voici ce qu’écrivent à ce sujet les historiens Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari dans leur Histoire de l’alimentation. Le rêve depuis l'Antiquité jusqu'à récemment était de pouvoir manger de tout, en toute saison, expliquent-ils en substance.

"Jadis, le lien que chaque cuisine entretenait avec le système alimentaire propre à son territoire était dans une large mesure obligatoire pour les strates inférieures de la société. Ce lien n’engendrait donc pas toujours un sentiment orgueilleux d’appartenance à une communauté territoriale : il était même souvent vécu comme une limite, une contrainte, que l’on aspirait à dépasser. Les paysans, angoissés par le problème des disponibilités en nourriture, confiaient leur sort à des aliments de longue conservation, tendanciellement uniformes, pour qu’ils garantissent autant que possible la sécurité alimentaire. À l’opposé de l’échelle sociale, une cuisine artificielle qui rassemblât sur la table toute les nourritures possibles et annulât l’identité locale, perçue comme signe de contrainte, était le premier désir des élites, le principal signe distinctif du privilège alimentaire. "Seul l’homme commun se contente des aliments que le pays peut offrir", écrivait Cassiodore, pour le compte de son souverain, Théodoric, dans l’Italie gothique du VIe siècle ; un millier d’années plus tard, le cuisinier de la maison de Gonzague, Bartolomeo Stefani explique, dans son traité de cuisine, que le seigneur ne doit pas se soucier du caractère saisonnier des aliments ni des limites imposées par le pays, parce que, avec "bonne bourse" et "bon destrier", on peut avoir de tout, à tout moment de l’année."

Note

1. Cette enseigne a été peinte pour le restaurant La Méditerranée place de l'Odéon, à Paris, où Balthus venait manger, nous dit-on, avec ses amis Eluard, Camus, Malraux, Giacometti.