À première vue

Christian Petzold propose au spectateur, à première vue, de suivre la quête de la reconnaissance d'une identité. Une jeune femme, rescapée d'Auschwitz mais défigurée par les balles des SS fuyant le camp, laissée pour morte, est ramenée par une amie de toujours à Berlin où elle a vécu "avant". Soignée par un chirurgien spécialiste, elle lui demande de lui refaire son ancien visage. Après l'opération, elle se découvre un visage qui a un air de ressemblance avec le sien et se pose la seule question qui l'a maintenue en vie quand elle était à Auschwitz : retrouvera-t-elle son mari et la reconnaîtra-t-il ? Elle part à sa recherche.

Le réalisateur construit son parcours avec une grande économie de moyens, des ellipses lui permettant de montrer les moments qui lui paraissent essentiels pour faire progresser la quête de la reconnaissance de façon inexorable. Un pont, des ruines, des bureaux, un bel appartement bourgeois, une clinique, un sous-sol, un cabaret, des lieux de promenades, une auberge au bord d'un lac, une péniche, une petite gare de campagne vide, une gare berlinoise, un restaurant. L'opérateur filme serré, passant calmement et précisément d'un lieu à un autre. La bande son semble être minimale. Ce qui compte : comment évoluent les relations entre les protagonistes, en particulier ce qu'ils se disent et ne se disent pas.

Les stéréotypes cinématographiques, culturels et commerciaux auraient exigé que la quête fût couronnée de succès, après que la jeune femme eut triomphé des épreuves : heureuses retrouvailles pour reformer un beau couple. Christian Petzold choisi de décevoir cette attente en faisant de la reconnaissance le moment d'une écrasante rupture définitive. Si le réalisateur fait le choix de frustrer le spectateur du moment de fusion rédemptrice, c'est pour convoquer le spectateur au spectacle de la destruction des illusions consolantes.

Noter tout de suite, donc, que Phoenix est un film invraisemblable, cette fiction ne tient pas debout… Christian Petzold raconte, tout en suggérant que cette histoire poignante pourrait être le prétexte pour donner à penser à d'autres enjeux que celui de retrouvailles entre femme et mari. Petzold multiplie les détails soulignant que telle et telle situation mise en scène est irréaliste. Irréalistes et invraisemblables, l'entreprise du mari (on sait dès le début que le divorce a été prononcé), le chirurgien berlinois et sa clinique, l'appartement luxueux et la gouvernante, les dénégations répétées de Johnny devant l'évident retour de sa femme, la froideur de Nelly devant le suicide de Lene, und so weiter.

Noter encore qu'il ne s'agit pas de la banale reconnaissance d'une disparue passée pour morte et qui revient se faire, patiemment, reconnaître. La jeune rescapée, Nelly, appartient à une riche famille juive décimée par l'extermination. Son amie, Lene, lui dit dès son retour, qu'elle est riche. Lorsque Johnny est retrouvé par Nelly, il ne la reconnaît pas, mais, lui trouvant un air de ressemblance avec sa femme morte, il lui propose un contrat : qu'elle se fasse passer pour la morte et il lui donnera vingt mille dollars (en 1945 en Allemagne, une colossale fortune). Il lui enseigne à se mettre dans la peau de cette Nelly, avec acharnement, sans s'étonner de la capacité de cette femme à entrer parfaitement dans cette peau qu'il lui tend. Fabrication d'un double et escroquerie.