La représentation figurée est le plus souvent un instrument de médiation. Dans les régions du Togo, le Legba, sorte d’équivalent d’Hermès, est un dieu (une puissance) d’abord individuel. Chacun a son Legba pour se protéger de ses propres pulsions. On en trouve une matérialisation à côté de l’endroit où l’on dort pour que dans son sommeil on n’aille pas, poussé par des mauvaises impulsions, s’attaquer à d’autres. Il y en a un à l’entrée des maisons, pour repousser les irruptions des autres. Le Legba lui-même est en liaison avec d’autres symboles qui ont tous à voir avec l’identité même de l’individu. C’est donc un dieu protéiforme, pluriel car on le retrouve dans des rôles sociaux (présence sur les marchés, au carrefour, quand la mort frappe) et "un" en même temps, car il existe des descriptions qui permettent de le représenter (même si dans la vie courante, la représentation se fait plus allusive, plus grossière). C’est donc une création complexe. Il est à la fois singulier et collectif, symbole d’identité et de relation. Il a besoin d’être matérialisé sous la forme d’éléments végétaux ou animaux. Il faut donner une consistance, faire une espèce de double matériel à la fois du corps individuel et de l’individu au sens large.
Une grande partie de l’art africain dans ses réalisations plastiques possède cette dimension symbolique (le symbole étant ce qui permet de relier les éléments les uns aux autres) qui fait l’objet d’une initiation, d’un enseignement. Ce sont des signes de reconnaissance. Dans l’art baoulé, les statues, très fines, sont non seulement élégantes dans leur réalisation mais représentent aussi des doubles de ceux qui les possèdent. Elles servent à maintenir la relation tant avec les ancêtres qu’avec les vivants. Il n’y a donc jamais de représentation complètement détachée des choses. On peut dire que ces "objets d’art" sont des images dans la mesure où l’image est reflet et possède un référent. Leur référent est soit concret et individuel (c’est l’individu même qui possède la chose), soit plus complexe (c’est le mort, l’ancêtre ou le lien maintenu, entre vivants et morts ou entre vivants eux-mêmes). Dans une grande partie de l’art primitif, on ne peut donc pas dissocier les éléments cosmologiques, anthropologiques de l’appréciation esthétique éventuelle.