L'Italie suprême

Ici règne un printemps perpétuel, et l'été en des mois qui ne sont pas les siens ; deux fois les brebis y sont pleines, deux fois l'arbre y donne des fruits.
L'extrait
 
Mais ni la terre des Mèdes, si riche en forêts, ni le beau Gange, ni l'Hermus, dont l'or trouble les eaux, ne sauraient lutter de mérites avec l'Italie, ni Bactres ni l'Inde ni la Panchaïe, tout entière couverte de sables thurifères. Notre pays n'a pas été labouré par des taureaux soufflant du feu par les naseaux pour recevoir comme semence les dents d'un dragon monstrueux [allusion à Jason] ; il ne s'est pas hérissé d'une moisson belliqueuse de casques et de lances drues ; mais les épis lourds et la liqueur de Bacchus, le Massique, y donnent à plein ; il est couvert d'oliviers et de gras bétail. D'un côté le cheval de bataille s'élance, tête haute, dans la plaine ; de l'autre, ô Clitumne [affluent du Tibre], les blancs troupeaux et le taureau, grande victime, ont été souvent baignés dans ton fleuve sacré, avant de conduire aux temples des dieux les triomphes romains.
 
Ici règne un printemps perpétuel, et l'été en des mois qui ne sont pas les siens ; deux fois les brebis y sont pleines, deux fois l'arbre y donne des fruits (bis gravidae pecudes, bis pomis utilis arbos). Par contre on n'y trouve pas les tigres féroces et la race cruelle des lions, ni les aconits qui trompent les malheureux qui les cueillent, ni de serpent couvert d'écailles qui traîne à terre d'immenses anneaux, ou qui ramasse en spirale un corps si long. Ajoute tant de villes remarquables et de travaux d'art, tant de places fortes bâties par la main de l'homme sur des rochers abrupts, et de fleuves coulant au pied de murailles antiques. faut-il mentionner les mers qui baignent notre pays, la Supérieure et l'Inférieure ? ou ses grands lacs : toi, Larius, le plus grand, et toi, Benacus, dont les flots se soulèvent et grondent comme une mer ? Faut-il mentionner nos ports, la digue ajoutée en bordure du Lucrin, et la mer indignée qui s'y brise à grand fracas, là où le ressac fait retentir au loin l'onde Julienne, et où le flux Tyrrhénien pénètre dans les eaux de l'Averne ? Notre pays aussi nous a décelé dans ses veines des filons d'argent et des mines de cuivre ; l'or même y a coulé en abondance.
 
Notre pays a produit une race ardente, les Marses et la jeunesse Sabellienne, et le Ligure habitué à la vie dure, et les Volsques armés de l'épieu ; il a produit les Décius, les Marius, les Camilles eu grand cœur, les Scipions endurcis à la guerre, et toi, le plus grand de tous, César, qui aujourd'hui vainqueur aux ultimes confins de l'Asie, écartes des hauteurs de Rome l'Indien désarmé. Salut, grande nourricière de moissons, terre de Saturne, grande mère de héros : en ton honneur j'entreprends de célébrer l'art antique qui a fait ta gloire, j'ose ouvrir les sources sacrées et je chante à travers les villes romaines le poème d'Ascra.
 
(Les Géorgiques, Les Belles Lettres, II, 136-176)

Remarques

Le poème d'Ascra fait référence à l'œuvre d'Hésiode, né à Ascra en Béotie. Virgile s'adresse ici directement à Octave Auguste : "Toi, le plus grand de tous."