La langue première

Le CECR s'intéresse aux "langues étrangères". La notion de compétence plurilingue est un peu plus ambiguë dans la mesure où il est question de mobiliser l’"ensemble des ressources langagières". Or, dans cet ensemble, il y a bien sûr aussi la langue première. Il y a là un décalage par rapport à d’autres aspects du Cadre européen et par rapport à la façon dont il a été utilisé.

Les pays s’appuyaient jusqu’à un certain point sur le Cadre européen pour réformer leur enseignement des langues étrangères. Mais ce dont on s’apercevait très vite sur place (1), c’est que tout dépendait de fait du statut de la langue nationale, de la façon dont elle était enseignée, de la manière dont elle entrait en relation avec les autres langues ou pas. Il fallait donc attirer leur attention sur le fait que lorsque l’on parle de politique linguistique, il faut s’intéresser à ce qui se passe du côté de la langue de scolarisation, et non pas seulement des langues étrangères, minoritaires ou régionales.

"C'est l'ensemble des langues qui importe
pour une éducation plurilingue et interculturelle."

C’est l’ensemble des langues qui importe pour une éducation plurilingue et interculturelle. La "langue de scolarisation" n’est d'ailleurs pas toujours non plus, loin de là, la langue maternelle des élèves. Et quand il s’agit bien de leur langue maternelle, les élèves n’en maîtrisent pas toujours les variétés en usage à l’école : genres textuels, formats de communication, etc.

Clé de voûte

Cette langue de scolarisation a dans l’ensemble du capital plurilingue, qui constitue une compétence plurilingue, une position tout à fait privilégiée. Toute mise en œuvre d’un projet d’éducation plurilingue doit peser très attentivement cette question de la langue de scolarisation dans la façon dont elle est enseignée, normée, dans les représentations qui en sont données par rapport aux autres langues.

Plus la langue de scolarisation sera figée ou présentée, comme cela a parfois été le cas pour le français, comme "une et indivisible", plus sa mise en relation avec d’autres langues sera délicate.

L’équilibre est difficile à trouver entre des représentations dominantes, qui marquent les enseignements, les programmes, les débats publics, et ce que l’on peut considérer comme étant souhaitable pour la réussite scolaire elle-même. Il faut avancer avec une certaine prudence, même si l’on a des convictions par ailleurs, même si l’on considère que l’on a besoin dans les sociétés d’aujourd’hui d’une éducation plurilingue et interculturelle. On ne peut pas jouer avec les jeunes qui fréquentent l’école au nom de ce qui pourrait encore apparaître comme une utopie.

"Tout ce qui se fait en dehors de la langue de scolarisation
doit bénéficier à la langue de scolarisation elle-même."

Je suis de ceux qui sont convaincus qu’il faut aller de l’avant, mais qu’il y a en même temps à s’interroger, autour centralement de la langue de scolarisation, sur la manière de mettre en œuvre des formes nécessairement diversifiées d’éducation plurilingue et interculturelle. Le principe, qu’on a développé dans plusieurs textes, est de dire que tout ce qui se fait à côté et en dehors de la langue de scolarisation au nom de l’éducation plurilingue et interculturelle dont elle fait partie doit bénéficier à cette langue de scolarisation elle-même. Et tout ce qui se fait dans la langue de scolarisation doit aussi comporter, réciproquement, une dimension d’ouverture vers d’autres possibilités langagières.

Note

1. Le Conseil de l'Europe assiste les pays en matière d'auto-évaluation des politiques linguistiques nationales et régionales et établit des "profils". Pour en savoir plus.