La morale de l'histoire

Les séries modèlent nos façons de penser, tout en nous faisant croire qu'il n'en est rien. L'épisode de Borgen dont le titre est "Tu ne commettras point d'adultère" est un bon exemple de cette façon de faire.

Cet épisode traite de la question de l'interdiction de la prostitution (1). Au départ, le fait de vouloir interdire la prostitution semble aller de soi. Katrine Fønsmark : "Vendre des femmes comme on vent de la marchandise, c’est tout simplement révoltant." Mais les personnages, confrontés, nous dit-on, à leurs propres préjugés, finissent par changer d'avis (2). Pernille Madsen : "On est bien d’accord que la prostitution est une violence faite aux femmes que l'on traite comme des marchandises ?" Birgitte Nyborg : "Ça n'est pas aussi simple que ça."

Chacun jugera de la qualité des dialogues. Quant aux arguments rebattus que l'on nous sert – la prostitution est un métier comme un autre ; les clients sont des gens normaux ; on a tous des besoins ; la prostitution, ça n'est pas pire que d'avoir une aventure d'un soir – est-on censé s'en contenter ?

Katrine Fønsmark rencontre Hélène, la présidente d'une association qui défend les droits des travailleurs du sexe. La prostitution est un métier comme un autre, lui dit-elle : "Il s'agit d'une entente réciproque, d'un échange commercial entre deux personnes qui profitent toutes les deux d'une transaction. Les prostituées payent des impôts. Pourquoi ne pas reconnaître leur métier en tant que tel ?" Katrine : "Tu dois bien avoir des jours où ça n'est pas …" Hélène : "Évidemment, il y a des jours qui sont moins drôles que d'autres, je le reconnais. Mais ça doit être pareil pour toi." Katrine : "Ouais, c'est sûr."
Hélène : "Aucune étude sérieuse montre que les travailleurs du sexe souffriraient plus de leur travail que la moyenne de la population. Aussi étrange que cela puisse paraître, il est fréquent que ces gens considèrent de manière très positive leur métier. Sinon, ils se dépêcheraient d'en exercer un autre. Bien des gens nous voient comme des victimes. C'est pourtant totalement faux, nous avons délibérément choisi cette profession. Je suis douée pour ce métier et appréciée. Mes clients sont satisfaits. Je n'ai pas eu d'enfance traumatisante, je suis une femme adulte ayant choisi d'exercer un métier librement."
Nete Buch : "Toutes les prostituées n'ont pas le sentiment d'être abusées. Là d'où je viens, on ne pense pas comme ça. Si l'alternative est d'avoir un boulot de merde, ça peut se concevoir. Y'avait une fille dans ma classe à qui on avait proposé un job d'hôtesse de bar dans une discothèque du coin. On lui offrait des cadeaux et du champagne. Elle a vu ça comme une phase transitoire. Elle a trouvé ça super."
Erik Hoffmann : "Ils ont récemment publié une étude sur la prostitution suédoise et l'interdiction n'a pas eu d'effet." Nete : "La prostitution n'a pas diminué pour autant, les filles dans la rue sont plus nombreuses." Birgitte sur TV1 : "Les nouveaux démocrates ne peuvent pas soutenir cette loi très proche de celle qui est appliquée en Norvège et en Suède pour la simple raison qu'elle augmente les risques encourus par les prostituées dans la rue qui sont parmi les plus exposées." Pour les Danoises travaillant en maison close, tout semble aller pour le mieux… Hélène : "Au Danemark, 80 % des femmes travaillent dans des maisons, et il n'y a pas que des jeunes femmes." La situation au Danemark est très différente de celle qui peut exister en Afrique du sud ou en Zambie, nous assure-t-elle.
Hélène : "Ceux qui veulent interdire la prostitution sont des moralistes." Erik : "Est-ce que nous voulons que l'État régente la sexualité des gens ?" Birgitte sur TV1 : "On ne peut pas fonder nos lois sur des scrupules relevant de la morale. Il faut être capable d'admettre que certaines personnes puissent ne pas vivre comme nous." Katrine : "Je me demande si je ne suis pas trop prude."
Le nouveau compagnon de Birgitte est un architecte anglais, Jeremy Welsh : "La Scandinavie est connue pour sa tolérance sexuelle. Drôle d'idée de vouloir interdire une chose que le monde vous envie." Birgitte : "Les filles ont si peur d'être stigmatisées qu'elles ne veulent pas témoigner. Même chose pour les clients, ils ont honte." Jeremy : "Dans certaines cultures, c'est mieux accepté. Ce n'est pas vu comme un acte moralement condamnable. Où est le mal si les parties sont consententes ?" Hélène : "Nos clients ne sont pas des délinquants sexuels mais des citoyens ordinaires qui viennent de toutes les classes sociales." Birgitte : "J'ai consulté les statistiques. Il y aurait 600 000 transactions par an au Danemark et s'il y a des habitués, dans le lot, on peut dire que près de 100 000 Danois vont aux putes tous les ans au Danemark. Ce ne sont pas forcément tous des psychopathes dangereux. Il doit même y avoir un nombre considérable d’hommes lambda qui vont voir des prostituées. Des pères de famille…"
Birgitte : "Je me souviens d'avoir discuté avec une éminente collègue de l'Union européenne de l'impossibilité d'avoir une vie amoureuse pendant nos mandats. Mais ça n'empêche pas d'avoir des besoins. Elle m'a fait cette étrange révélation que de temps en temps, elle s'offrait les services d'un gigolo. Le marché était conclu, une fois l'argent sur la table, pas de mauvaise conscience. Pourquoi c'est cool quand il s'agit d'une femme politique au sommet et ignoble quand c'est monsieur tout le monde ?" Jeremy lui avoue qu’il lui arrive de fréquenter des prostituées "de temps en temps" : "Je voyage dans le monde entier et souvent seul." Jeremy : "Tu n’as jamais eu de plan cul avec quelqu'un ?" Birgitte : "Oui, mais ça n'est pas la même chose." Jeremy : "Pourquoi ?" Birgitte : "À cause de l'argent. Je ne peux pas m'empêcher de trouver ça dégradant d'acheter une fille." Jeremy : "On achète un service, pas la personne."
Hélène : "T'as jamais eu une aventure d'un soir, sans engagement aucun ?" Katrine : "Si bien sûr." Hanne Holm, une journaliste de TV1 : "Les hommes baisent à droite à gauche, alors autant qu'ils aillent voir des professionnels." La réalisatrice de TV1, qui a elle-même une aventure avec le rédacteur en chef de la chaîne, Torben Friis, un homme marié : "Hanne, enfin quoi, t'es pas sérieuse ! Tu peux pas mettre sur le même plan la prostitution et l'infidélité !" Le présentateur vedette de TV1, Ulrik Mørch : "Autrement dit, je devrais moins culpabiliser en allant voir une pute qu'en trompant ma femme ?"

Katrine Fønsmark découvre opportunément au cours de cet épisode que sa mère a eu une liaison (3). Si même maman… On comprend mieux pourquoi cet épisode qui porte sur la question de l'interdiction de la prostitution a pour titre : "Tu ne commettras point d'adultère." L'ironie est une arme redoutable. Mais il est parfois malhonnête intellectuellement de s'en servir. La fin est édifiante. Katrine a un fantasme : être traitée comme une prostituée. Ce fantasme – là encore, un vieux cliché – elle va enfin pouvoir le réaliser.

La morale de l'histoire est contenue dans cette maxime qui introduit l'épisode : "L'enfer est pavé de bonnes intentions." Difficile pour le spectateur qui ne serait pas d'accord avec la vision idyllique que l'on donne à la fin de la prostitution de ne pas s'y conformer quand même. Qui veut passer pour un imbécile, animé de "bonnes intentions" ? (4)

Notes

1. Épisode 25/30. Diffusé le 17/10/13 sur Arte.
2. "Désormais reconnus dans l'arène politique, les Nouveaux démocrates doivent affirmer leur position sur la question de l'interdiction de la prostitution. En se documentant sur ce sujet controversé, Birgitte et Katrine se trouvent confrontées à leurs propres préjugés et revoient peu à peu leur jugement. Ce qui ne sera pas sans conséquences sur leurs relations personnelles…" Texte de présentation, publié sur le site d'Arte.
3. Avec un voisin. Rien à voir avec la prostitution.
4. Dans le camp d'en face, ils sont tous hystériques, quand ils ne truquent pas les chiffres ! Une sociologue déclare : "Il me semble qu'une personne bien équilibrée ne va pas vendre son corps à dix inconnus différents par jour." Elle n'a peut-être pas complètement tort mais c'est formulé de telle façon et c'est dit sur un tel ton que l'on aura bien du mal à être de son avis !