Justice et démesure

Ceux qui n'ont à cœur que la funeste démesure et les œuvres méchantes sont réservés à la justice du Cronide, Zeus au vaste regard. Sur eux, du haut du ciel, le Cronide fait tomber une immense calamité, peste et famine à la fois.
L'extrait
 
Ceux qui, pour l'étranger et pour le citoyen, rendent des sentences droites et jamais ne s'écartent de la justice voient s'épanouir leur cité, et, dans ses murs, sa population devenir florissante. Sur leur pays s'épand la paix nourricière de jeunes hommes, et Zeus au vaste regard ne leur réserve pas la guerre douloureuse. Jamais ces droits justiciers ne sont suivis de la famine ni des désastres : ils jouissent dans les festins du fruit des champs auxquels ils ont donné leurs soins. La terre leur offre une vie abondante ; sur leurs montagnes, le chêne porte, à son sommet, des glands, en son milieu des abeilles ; leurs brebis laineuses sont alourdies par leur toison ; leurs femmes leur enfantent des fils semblables à leurs pères ; ils s'épanouissent en prospérités, sans fin ; et ils ne partent point en mer, le sol fertile leur offrant ses moissons.
 
Ceux au contraire qui n'ont à cœur que la funeste démesure et les œuvres méchantes sont réservés à la justice du Cronide, Zeus au vaste regard. Souvent même une ville entière se ressent de la faute d'un seul, qui s'égare et trame le crime. Sur eux, du haut du ciel, le Cronide fait tomber une immense calamité, peste et famine à la fois. Les hommes se meurent, les femmes cessent d'enfanter, les maisons dépérissent, par le conseil de Zeus Olympien. Parfois aussi le Cronide leur détruit un rempart, une vaste armée, ou se paie sur leur flotte au milieu des mers.
 
(Les Travaux et les Jours, Les Belles Lettres, 225-247)

Remarques

Avec Les Travaux et les Jours, Hésiode a offert aux Grecs un texte qui leur a servi de recours idéologique pour définir la grécité. Cette image qu'il donne de l'agriculture en Grèce au huitième siècle av. J.-C. est-elle juste ? Hésiode s'exprime en propriétaire terrien (il hérite du domaine de son père). De nombreux esclaves travaillent alors la terre.

Hésiode est né en Béotie. Dans la région de Sparte, en Laconie, il lui aurait sans doute été plus difficile de faire comme si l'agriculture ne dépendait pas du travail des esclaves. Voir Hilotes ; Cryptie.

Comparer avec cette notice, extraite du Dictionnaire de l'Antiquité de l'université d'Oxford : "Hésiode décrit la vie d'un fermier prudent, avisé, endurci par les travaux des champs et les adversités, se défiant du plaisir et des femmes, fermement convaincu que la vie quotidienne est régie par les lois divines."

L'édition des Belles Lettres ajoute en note : "Ces deux descriptions parallèles du bonheur réservé aux peuples justes et du châtiment qui attend les peuples criminels sont ordonnées suivant un type traditionnel que l'on rencontre déjà dans Homère et, après Hésiode, chez un grand nombre de poètes, et même chez des historiens, comme Hérodote. Chez tous, on retrouve la même division en trois parties, la prospérité d'un pays étant considérée successivement dans ses hommes, dans ses moissons, dans ses troupeaux."

Comme dans la Genèse, la séparation des hommes et des dieux est une donnée et un principe explicatif. Voir le mythe de Prométhée dans la Théogonie. Le mythe de Lycaon au tout début des Métamorphoses, d'Ovide.